Voilà il est là le best-of:
Stan
Si ma mémoire est bonne, c’est en 1992 que mon beau-frère m’a prêté les 6 grands volumes de Watchmen en me disant « tiens, lis ça ». J’avais donc 20 ans, c’était il y a 17 ans. Jamais je n’avais pris une claque pareille, et jamais je n’en ai repris depuis.
A l’époque jeune et naïf, je pensais devenir un jour réalisateur de films. Et comme j’étais évidemment tombé passionnément amoureux de cette œuvre, je me disais qu’un jour, je le réaliserais. C’était un peu mon graal.
Depuis je n’ai eu de cesse de tenter de le faire découvrir à des gens, en leur disant « c’est la plus belle histoire jamais écrite » ou « le meilleur scénario de tous les temps ». Certains ont accroché, d’autres moins. Quand j’avais envie de faire un très très beau cadeau, je l’offrais. Un jour, j’ai dit à ma nana « tu sais, je viens de faire à Nicolas le plus beau cadeau que j’aie jamais fait de ma vie ». Elle m’a regardé avec des yeux humides, l’air de se sentir trahie de ne pas en avoir été la destinataire. Puis a été rassurée quand je lui ai dit que ça n’avait pas une grande valeur marchande, juste artistique.
En 1993, j’ai touché à l’Internet pour la première fois. J’étais aux Etats-Unis et on m’a montré un t’chat en ligne. Je trouvais que ça ressemblait au Minitel, rien de bien nouveau. J’ai pris pour pseudo « Terminator » et j’ai copieusement insulté un gars. Je me souviens, en me voyant taper « fuck you », mon hôte m’a crié « no, no ! » mais c’était trop tard. Ils sont polis, ces Ricains.
Je crois que c’est en 1995 ou 1996 que j’ai commencé à surfer, dans des cybercafés à l’époque. C’était tout nouveau, j’avais demandé au cyber serveur s’il avait une sorte d’annuaire de sites à me proposer, parce que je ne savais pas où aller voir. Il m’a gentiment expliqué que non, c’était déjà trop vaste. Alors j’ai fait des recherches sur les deux plus beaux créateurs que je connaisse : Alan Moore et Gary Larson (ce dernier, découvert à 18 ans, n’a également jamais cessé de me hanter depuis. Je n’ai jamais trouvé aussi drôle que ce gars.)
Quand j’ai eu accès au net chez moi, en 1998, j’ai tout de suite cherché des infos sur Moore et Larson. On ne trouvait pas grand-chose, mais j’ai pu rassembler des interviews, et au fil des années, les autres œuvres de Moore. Tout est très bien, parfois sublime, mais rien n’a encore égalé Watchmen.
Quand j’ai appris que Terry Gilliam préparait un film, j’ai été ravi. Quand le bébé est passé aux mains de Paul Greengrass, j’ai acheté le DVD de son premier film (Bloody Sunday) pour voir s’il en était capable. Quand j’ai entendu dire que ça serait Darren Aronofsky, j’ai sauté de joie. Quand une rumeur dans un magazine a parlé des frères Wachowski, j’ai failli vomir (j’ai appelé les rédactions de plusieurs canards de ciné, et heureusement, personne n’a confirmé).
Et puis Snyder. Au fil du développement du projet, avec les infos sur le blog officiel, les featurettes, les interviews, j’ai été peu à peu rassuré. D’abord, le projet maudit se faisait enfin. Ensuite, Snyder était un authentique fan, et pas un ouvrier chargé d’illustrer un truc qu’il ne connaissait pas. Car l’armée des fans est gigantesque, et une trahison équivaudrait à une auto-condamnation à mort. Le fan de Watchmen, quand il croise un congénère, il le salue respectueusement. Il n’en croise environ que dans les boutiques de comics ou aux conventions s’il est très geek, mais c’est un peu comme ces conducteurs de camions hippies Volkswagen, qui s’interpellent avec leurs phares sur les routes. On appartient à une sorte de secte, et tout est très bien comme ça. Je m’étais fait imprimer un tee-shirt avec Rorschach, comme signe de reconnaissance. Personne ne tiltait, j’ai dû attendre les blogs pour trouver d’autres semblables, comme Ozymandias (ah bon, il est fan lui ?)
Aujourd’hui mon tee-shirt est tout délavé, et je ne l’ai même pas mis pour la première, hier soir. Faut dire qu’ils mettent du froid dans les salles des multiplexes, et qu’il fait pratiquement meilleur dehors.
J’étais avec ma compagne, qui ne connaissait pas mais m’a dit avoir apprécié. Je n’ai pas pu en savoir plus. Après tout, ce n’est qu’une femme, je me contenterai de sa note positive.
Tout ce pavé inutile pour en venir à mes impressions sur ce tant attendu film de cinématographe. Bin oui, 17 ans d’attente, je ne pouvais pas me contenter de dire « ouais c’est bien », il fallait au moins une petite intro.
Watchmen est à la base un film en bande dessinée. Il est déjà cadré, déjà découpé, déjà mis en scène. On a même des indications sur les musiques à utiliser. En ça, il était difficile de se planter, et Snyder, après son ridicule 300, a plutôt bien respecté l’œuvre originale.
Mais que dis-je ? Non, ça mérite plus d’entrain : Il a franchement cartonné, le gars. C’est une tuerie, son film. Une über-tuerie. Ca fait quelques années que je ne l’ai pas relu, mais j’ai reconnu un gros paquet de cases, voire de planches absolument fidèlement reproduites. Ca fait un bien fou. A l’heure actuelle encore, j’ai du mal à me départir de ce sourire béat de mec qui en a pris plein la gueule.
D’abord, le casting. J’ai jamais vu ça. On croirait que la bédé a été faite après le film, tellement ils ont trouvé des gueules ressemblantes. Dan Dreiberg c’est exactement Dan Dreiberg. Le Comédien a la tronche du Comédien. Rorschach est carrément mieux que sa version en dessin. Manhattan, bin c’est un mec bleu chauve et musclé, il était difficile de ne pas le réussir. Cependant, il en jette, et il a un très gros zboob (j’avais peur de la censure, parce que dans les extraits que l’on peut voir, il a comme une sorte de flou autour de la zone virile, comme un petit nuage, mais en fait dans le film on voit tout bien).
Chose étonnante, qui m’énervait dans les extraits : ce super-héros imberbe de partout a des sourcils. Ca n’a aucun sens, mais on est prêt à l’oublier, ça va, c’est pas la fin du monde.
A peine cinq minutes avant.
Dreiberg aussi souffrait d’un gros problème dans les extraits préalables : il n’avait pas son gros bide de middle-aged man qui ne rentre plus dans son costume. Eh bin en fait si, il l’a. Ca se remarque surtout au début mais ça n’a pas été oublié.
Un mot sur la réalisation, avant de passer au scénar. Je n’ai qu’une chose négative à dire sur ce point : mais POURQUOIIIIIII tous ces ralentis minschs moches branchés de mon cul tout en étant dépassés depuis 5 ans ? C’est d’une laideur esthétisante type MTV, ça ne prouve rien, ça ne sert en rien le récit et ça décrédibilise le projet. Je ne parle pas des ralentis qui adoptent le rythme de certaines chansons le temps d’une scène, ceux-là sont légitimes (l’enterrement notamment), mais de ces scènes d’action à la con où ça va tout vite, puis tout lentement sur un détail, puis re-tout vite… Faut arrêter les gars, c’est plus à la mode depuis des lustres, c’est bon. Comme l’explosion avec un mec qui avance vers la caméra en faisant la gueule, sans se retourner parce que ce n’est pas surprenant une explosion, bon, ça vaaaaa, arrêteeeeez ! (pas de ça dans ce film cependant, je fais un simple exemple des dérives à la mode et des mecs qui ne savent pas quand une mode a fait long feu).
Voilà, ça, ça craint.
Tout le reste est somptueux. Si on fait abstraction de ces ralentis à la mords-moi-le-nœud-bleu, la scène d’ouverture avec la baston chez Blake est simplement bandante. Ah, un détail idiot : comment peut-il avoir en 1985 une télé avec les petites barres du réglage du son qui s’affichent à l’écran ? Je ne suis même pas sûr que les télécommandes existaient à l’époque, mais les incrustations du genre, certain que non. Et personne n’y a pensé sur le tournage ? Preuve que la moyenne d’âge de l’équipe doit tourner autour des 25 piges.
Les scènes avec Rorschach sont fabuleuses, et bonne nouvelle, ils n’ont pas lésiné sur le gore. C’est franchement gerbant à certains moments. Mais gerbant fun, hein ?
Bon. A vrai dire, je n’ai rien de méchant à dire sur la mise en scène. Je ne me suis pas emmerdé une seconde, c’est très très bien fait, et les musiques sont respectées, bravo et merci.
Sur l’histoire, la fidélité, et comment condenser une œuvre aussi riche en 2h40.
Là encore, j’ai envie de mettre 80 à 90% de félicitations dans le boulot abattu.
Je parlais plus haut de l’armée de fans de la première heure ; il est évident que parmi cette armée, chacun a sa vision du bouquin, sa lecture, ses passages cultes et ses séquences incontournables. Personne n’a plus raison que les autres, personne n’a tort. Les individus sont heureusement différents. Dans Watchmen, il n’y a pas LA scène qui surnage, la scène où y’a pas que d’la pomme, tout est bien. Donc une adaptation en décevra certains, c’est forcé. Dans mon cas par exemple [alors c’est quand même vachement mieux de sauter ce passage si on n’a pas lu la bédé, même si, dans cette éventualité, on n’est vraiment qu’un gros con], j’avais très envie de voir le flashback avec les chiens, et ce que voit vraiment Rorschach quand il répond « un joli papillon » pendant le test du même nom (c’est dans le film), de voir Sally pleurer sur la photo de Blake après l’avoir embrassée malgré le viol (c’est pas dans le film), de voir l’enfance légèrement trouble de Rorschach et sa mère légèrement, bon, légère (c’est dans le film), de voir Bubastis (elle y est), de voir la scène où les ingénieurs et artistes qui avaient été enlevés repartent sur le bateau, quand le mec qui s’est maqué à l’Indienne découvre la bombe, prend la nana dans ses bras et lui dit « c’est rien » juste avant que ça saute (pas, mais alors pas DU TOUT dans le film), de voir les Minutemen (rhô là lààà, non seulement c’est dans le film mais on voit même leur fin et tout, c’est grandiose), de voir évidemment le gros poulpe et les milliers de cadavres ensanglantés dans la scène finale (putain c’est PAS dans le film), de voir Mars (oui), l’évasion de la prison (oui, ooh oui), etc.
Une chose que je ne comprends pas, c’est pourquoi on ne voit pas le meurtre de Hollis Mason (que j’attendais également, avec le plan génial de l’ombre de son trophée sur son visage terrifié), alors qu’il m’avait semblé voir des images de ça dans les featurettes. Je suppose (et espère) que ça a été filmé et sera dans la version longue. Vivement le DVD.
Une deuxième chose que je ne comprends pas, c’est l’absence totale des ombres des silhouettes enlacées sur les murs de New York. Là franchement, ça n’aurait pas rallongé le film que d’en inclure une ou deux. Je guettais attentivement, j’en ai pas vu une seule.
Quant à la relation entre le vendeur de journaux et le gamin qui lit des comics, elle a totalement disparu, on les voit une ou deux fois, en figurants, du coup quand ils se prennent dans les bras l’un de l’autre pendant l’explosion finale, on ne sait pas qui ils sont et ça n’a pas trop de saveur. Mais ne boudons pas notre plaisir : « Tales of the Black Freighter » sort en DVD, en version animée, ça fera un excellent bonus à voir après le film.
Voilà, bon, bref, on ne peut pas satisfaire tout le monde, on va dire que je suis bien content dans l’ensemble. Le tour de force dans l’adaptation, c’est de réussir à faire croire que (presque) tout a été évoqué, voire développé, alors que certains aspects de l’histoire ne sont que fugacement entr’aperçus au détour d’un plan. J’en veux pour preuve le subliiiiime générique de début, qui très intelligemment raconte mille choses sur mille personnes. Faut être attentif ou le voir deux fois, ou l’avoir lu, mais quel panard les enfants !
J’en viens pour finir au sujet qui fâche. NON, je ne suis pas d’accord avec le remaniement total de la fin. L’idée (attention, vous êtes encore dans le paragraphe spoiler hein) que les humains s’unissent pour contrer une menace extraterrestre était excellente, et fort visuelle ma foi. Alors que leurs petites bombounes là, c’est quoi ça ? Juste des explosions, bon, rien de sensationnel. Et surtout, c’est assez crétin : si la Russie est la grande menace, pourquoi ne pas les atomiser eux, simplement ? On peut se dire que « oui mais ça calmerait les choses un temps seulement, puis l’esprit guerrier de l’homme reviendrait », oui en effet. Mais bon. J’aime moins. Et quand Moore l’apprendra, gageons qu’il va se mettre à serrer ses petits poings bagousés très fort. Touchez pas à Moore putain ! Est-ce qu’on touche à la création de dieu ? Est-ce qu’on met des parkings là où il avait mis des arbres en fleur ?
Ah oui.
[fin de la partie spoiler]
Ah, un ps : on voit des nénés aussi. Un bon film sans nénés n’est pas vraiment un bon film.